Accident mortel au Québec : comment la justice détermine la culpabilité d’un conducteur ?22 Septembre 2025  |  Source: Radio Canada

Accident mortel au Québec : comment la justice détermine la culpabilité d’un conducteur ?

Chaque été, les routes québécoises deviennent le théâtre d’accidents tragiques qui bouleversent familles, amis et communautés entières. Lorsqu’un automobiliste est impliqué dans un accident mortel, une question surgit presque toujours : est-il coupable? 

La réponse est loin d’être automatique. 

Le système de justice québécois fonctionne selon des règles précises qui vont bien au-delà de l’émotion suscitée par l’événement. Comprendre ce processus, c’est plonger dans la distinction entre faute routière et faute criminelle, dans le rôle des procureurs, mais aussi dans un régime d’assurance unique au Québec.

La faute : au coeur de la culpabilité.

Le point de départ est simple en apparence : pour qu’un conducteur soit reconnu coupable, il faut prouver qu’il a commis une faute. Le fait qu’une personne soit décédée dans l’accident ne suffit pas. 

Au Canada, c’est la Couronne – autrement dit l’État – qui a la tâche de démontrer hors de tout doute raisonnable qu’une faute a été commise. Cette preuve repose souvent sur des enquêtes minutieuses menées par la police : analyse de la scène, témoignages, vidéosurveillance, données de véhicules, et parfois même expertise en reconstitution d’accident. Le rapport est ensuite transmis au procureur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), qui décide s’il y a lieu de porter des accusations.

Il est donc crucial de comprendre que la simple implication dans un accident mortel n’entraîne pas forcément une condamnation. Le système repose sur la notion de responsabilité juridique, qui doit être clairement démontrée.

Faute routière ou faute criminelle : une distinction majeure.

Dans l’esprit du public, un accident mortel appelle souvent justice immédiate. Pourtant, il existe une différence fondamentale entre les infractions au Code de la sécurité routière et les infractions criminelles.

Les premières concernent des comportements courants mais interdits : rouler trop vite, oublier un arrêt obligatoire, ne pas signaler un virage. Ces manquements entraînent généralement des contraventions ou des retraits de points d’inaptitude, mais ne suffisent pas à envoyer quelqu’un en prison.

À l’inverse, une faute criminelle suppose un comportement bien plus grave. Trois chefs d’accusation sont les plus fréquents lorsqu’une vie est perdue sur la route :

  1. Négligence criminelle causant la mort : un geste ou une omission marquée qui démontre un mépris insouciant pour la vie d’autrui.

  2. Conduite dangereuse causant la mort : une manière de conduire qui s’écarte de façon flagrante des normes attendues.

  3. Conduite avec facultés affaiblies causant la mort : alcool, drogue ou toute substance altérant la capacité à réagir.

Cette distinction est essentielle : un excès de vitesse mineur peut mener à une amende, mais pas à une condamnation criminelle, alors qu’une conduite téméraire ou en état d’ébriété peut être sanctionnée lourdement.

La personne raisonnable : un concept clé en droit criminel.

L’un des critères les plus utilisés par les tribunaux pour évaluer la culpabilité est celui de la personne raisonnable. Il s’agit d’une figure abstraite qui représente une personne moyenne, ni experte ni imprudente, placée dans la même situation que l’accusé.

Par exemple, si un conducteur a brûlé un feu rouge à grande vitesse et frappé un piéton, la question que posera la cour sera : « Une personne raisonnable, dans ces circonstances, aurait-elle agi de la même façon? » Si la réponse est non, et que l’écart est jugé marqué et important, on peut parler de faute criminelle.

Il faut toutefois nuancer. Une simple inattention momentanée, comme ne pas voir un cycliste à cause d’un angle mort, ne suffit pas pour retenir la responsabilité criminelle. En droit, il faut prouver un écart significatif par rapport à ce qu’on attend d’une personne ordinaire. La jurisprudence, c’est-à-dire l’ensemble des jugements antérieurs, est très claire : le seuil pour accuser de conduite dangereuse causant la mort est élevé.

Ce critère permet d’éviter de criminaliser des erreurs humaines banales, même si elles ont des conséquences tragiques. Autrement dit, faire une erreur ne fait pas de quelqu’un un criminel.

Le régime d’assurance sans égard à la responsabilité au Québec.

Un autre aspect qui distingue le Québec d’autres provinces canadiennes est son régime d’assurance automobile sans égard à la responsabilité, administré par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ). Concrètement, cela signifie que les victimes d’accidents de la route, ou leurs familles, reçoivent une indemnisation, peu importe qui est responsable.

Ce choix de société a une conséquence directe : il est impossible d’intenter une poursuite civile pour des dommages corporels à la suite d’un accident de la route. Cela dit, ce régime ne s’applique pas aux dommages matériels. Si votre véhicule est endommagé dans un accident et que l’autre conducteur est responsable, il est possible d’engager des démarches civiles pour récupérer les coûts liés aux réparations. Ce système, bien qu’imparfait aux yeux de certains, vise à éviter des batailles judiciaires interminables et à garantir une protection universelle aux Québécois.

Entre justice et émotion : une frontière délicate.

Enfin, il faut distinguer faute morale et faute criminelle. Beaucoup de gens confondent les deux. Perdre la vie dans un accident provoque forcément de la douleur et un besoin de réparation symbolique. Mais en droit, ce n’est pas parce qu’un conducteur a commis une erreur, ou qu’il n’a pas eu la réaction parfaite, qu’il doit être accusé criminellement.

Les poursuites criminelles sont lourdes de conséquences : elles impliquent l’appareil judiciaire de l’État, mobilisent d’importantes ressources et peuvent mener à des peines de prison. C’est pourquoi elles ne sont engagées que lorsque la preuve d’une faute grave est établie.

Cette distinction rappelle une vérité difficile à accepter pour certains : un accident mortel n’implique pas nécessairement un coupable criminel. La justice doit s’appuyer sur les faits, pas uniquement sur l’émotion.

Déterminer la culpabilité d’un automobiliste dans un accident mortel au Québec repose donc sur plusieurs étapes : prouver une faute, distinguer l’infraction routière de l’infraction criminelle, évaluer la conduite à l’aune de la « personne raisonnable » et appliquer le régime particulier d’assurance québécois.

C’est un processus complexe, où la frontière entre la tragédie humaine et la responsabilité criminelle n’est pas toujours claire. Si la douleur des proches est immense, le droit cherche à maintenir un équilibre entre justice et objectivité.

Pour toute aide, consultez les avocats de Gauthier et Tousignant.

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