Se défendre seul en cour : Québec veut mettre fin à une faille du système judiciaire canadien.8 Septembre 2025  |  Source: Radio Canada

Se défendre seul en cour : Québec veut mettre fin à une faille du système judiciaire canadien.

Au Canada, se présenter devant un juge sans avocat est un droit fondamental que de nombreux accusés exercent. Mais cette liberté, qui fait partie de la tradition juridique canadienne, soulève de plus en plus de débats. 

Un débat relancé par un drame.

Le procès de François Pelletier a profondément marqué l’opinion publique. Non seulement par l’horreur du crime, mais aussi par la manière dont l’accusé a utilisé son droit de se défendre seul. Pendant plusieurs jours, il a transformé la salle d’audience en tribune personnelle, multipliant des explications abracadabrantes et sans lien avec les faits. Pour le père de la victime, Guy Bonnier, ce fut une véritable épreuve. Déjà écrasé par la douleur d’avoir perdu sa fille, il a dû subir le spectacle douloureux d’un procès parasité par des interventions incohérentes.

Selon lui, il est inconcevable que des accusés de meurtre puissent se représenter seuls. « Tout notre système est à rénover », a-t-il lancé, appelant le Canada à s’inspirer de la France, où un avocat est automatiquement commis d’office pour ce type de procès. Ce point de vue trouve écho chez plusieurs citoyens et élus québécois, dont le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette, qui a promis d’interpeller son homologue fédéral.

Les limites du système canadien.

La difficulté, c’est que la question relève du gouvernement fédéral. Le droit criminel et la procédure criminelle sont de compétence canadienne, et non provinciale. Ottawa rappelle d’ailleurs que le droit de se représenter seul en cour est protégé par la Constitution et confirmé par la jurisprudence. Dans l’architecture juridique du pays, c’est un principe considéré comme fondamental : la liberté de choisir sa défense, même si cela implique de se défendre sans avocat.

Certains juristes, comme l’avocat criminaliste Walid Hijazi, soulignent que ce droit ne peut pas être retiré sans poser un sérieux problème constitutionnel. « On ne peut pas imposer un avocat à un accusé contre sa volonté », explique-t-il. La question n’est donc pas seulement pratique : elle touche à la philosophie même du droit criminel canadien, qui place la liberté individuelle au centre du procès.

Quand le droit à se défendre devient une arme.

Pour les familles des victimes, la question dépasse les subtilités constitutionnelles. Laisser un accusé de meurtre se défendre seul revient, dans certains cas, à transformer le procès en un cauchemar interminable. Guy Bonnier cite d’ailleurs d’autres affaires, comme celle de Levana Ballouz (anciennement Mohamad Al Ballouz), reconnu coupable d’avoir tué sa conjointe et ses enfants, qui avait également choisi de se représenter seul.

Selon lui, ces situations font perdre un temps précieux à la cour, encombrent le système judiciaire et gaspillent l’argent public. Mais surtout, elles amplifient la douleur des familles de victimes, forcées d’écouter des plaidoyers absurdes ou provocateurs. Le problème ne réside donc pas seulement dans l’efficacité du système, mais aussi dans le respect dû aux proches des victimes.

Pour Simon Roy, professeur de droit pénal à l’Université de Sherbrooke, il ne faut toutefois pas confondre le droit de se défendre seul avec l’abus de ce droit. « Ce qui pose problème, ce n’est pas qu’un accusé se représente, mais qu’il abuse de ce privilège pour soulever des arguments farfelus ou transformer le procès en farce », explique-t-il. Selon lui, les juges ont déjà les outils pour encadrer ces dérives.

Le rôle des juges : trouver l’équilibre.

En effet, les magistrats disposent de plusieurs leviers. Ils peuvent nommer un avocat pour accompagner l’accusé en tant qu’« ami de la cour », voire désigner un représentant légal pour le contre-interrogatoire des témoins ou des victimes. Cette mesure permet d’éviter qu’un accusé puisse harceler directement une victime en la questionnant lui-même, ce qui ajouterait une dimension traumatisante au procès.

Les juges peuvent également recadrer un accusé qui dérape, comme ce fut le cas lors du procès de François Pelletier. Le magistrat n’a pas hésité à hausser le ton pour le ramener aux faits et l’empêcher de perdre le tribunal dans des divagations. Toutefois, limiter trop sévèrement la parole d’un accusé peut ouvrir la porte à des appels, ce qui complique encore la tâche des juges.

Pour les experts, la solution se trouve moins dans un changement législatif radical que dans une meilleure utilisation des outils déjà disponibles. Les cours d’appel, par exemple, devraient faire preuve de davantage de souplesse lorsqu’un juge prend la décision de restreindre les dérives d’un accusé. Cela permettrait de protéger à la fois le droit à une défense et le bon fonctionnement du système.

Réformer ou adapter : quel avenir pour le droit criminel ?

Le débat ouvert par l’affaire Bonnier dépasse le seul cadre du Québec. Il pose une question fondamentale : jusqu’où un système judiciaire doit-il protéger la liberté d’un accusé, au risque de nuire aux victimes et à l’efficacité du procès ? Pour Ottawa, la marge de manœuvre est réduite par la Constitution et la jurisprudence. Pour Québec, c’est une question de justice et d’humanité.

Que la solution passe par une réforme législative, par un encadrement renforcé du rôle des juges ou par un système hybride inspiré de l’Europe, le débat est désormais lancé. Et il ne fait aucun doute qu’il marquera les prochaines années, tant la question touche à des valeurs fondamentales : la liberté, la dignité et la justice.

Si vous avez besoin d’aide, consultez les avocats de l’équipe de Gauthier & Tousignant avocats. Ils vous représentent au Québec et en Ontario. Vous pouvez nous joindre 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

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